Bactériocines, acteurs majeurs dans les interactions microbiennes et alternatives aux antibiotiques
Sylvie Rebuffat
Muséum National d’Histoire Naturelle – CNRS ; Laboratoire Molécules de Communication et Adaptation des Microorganismes (MCAM), UMR 7245, CP 54, 57 rue Cuvier, 75005 Paris, France. E-mail: sylvie.rebuffat@mnhn.fr
L’émergence de pathogènes multi-résistants constitue de nos jours l’un des risques majeurs pour la santé humaine dans le monde. L’Organisation Mondiale de la Santé a déjà envisagé une ère post-antibiotiques où des infections a priori banales pourraient à nouveau tuer. Il est donc urgent de rechercher des alternatives aux antibiotiques conventionnels simultanément à la recherche de nouvelles molécules.
Il est maintenant bien établi que les organismes multicellulaires vivent en association étroite avec des communautés complexes de microorganismes, incluant une large proportion de bactéries, qui sont impliquées dans des réseaux d’interactions reflétant les relations qu’ils établissent entre eux et avec l’organisme hôte. Et pourtant, la connaissance sur ces molécules et les mécanismes associés reste limitée. Parmi elles, les peptides antimicrobiens (PAMs), et particulièrement ceux d’origine bactérienne nommés bactériocines et microcines, jouent un rôle important. Ces peptides d’origine ribosomique, modifiés post-traductionnellement ou non modifiés, font preuve d’une activité puissante dirigée contre les compétiteurs, sans pour autant générer de résistance importante dans les conditions écologiques. Ils ont des mécanismes d’action variés impliquant diverses cibles, allant de l’enveloppe bactérienne et la bicouche membranaire à des enzyme intracellulaires. Au-delà de ce rôle dans les compétitions microbiennes, certains servent de molécules de signalisation et contribuent à maintenir l’équilibre et la dynamique des communautés polymicrobiennes (microbiotes) au sein des niches écologiques. Ces caractéristiques en font des molécules particulièrement prometteuses pour un développement en tant que stratégies alternatives aux antibiotiques conventionnels, pour un usage en médecine humaine ou vétérinaire, en agriculture ou dans l’industrie alimentaire.
Dans le contexte de la lutte contre la résistance microbienne dans le cadre de la stratégie One Health (une seule santé), où les santés humaine, animale, et de l’environnement doivent être considérées globalement, la conférence Antimic 2022 arrive à point nommé pour réunir les toutes dernieres avancées sur la diversité et les fonctions des bactériocines et autres PAMs dans des environnements complexes, et pour stimuler les efforts multidisciplinaires favorisant leurs applications. Dans cette présentation, nous décrirons l’état actuel des connaissances sur les bactériocines à partir d’exemples spécifiques sélectionnés, et les principales fonctions écologiques qu’ils assurent dans différents organismes, qui sont à la base de leurs propriétés antibactériennes puissantes et ainsi de leur important potentiel. Nous décrirons aussi les efforts en cours pour amener les bactériocines au stade appliqué et aborderons les questions non résolues qui offrent un cadre et une source d’inspiration pour de nouvelles directions de recherche.